Finalement sont-elles si différentes?

Réflexion sur un monde multigénérationnel


Les familles de cinq générations sont-elles notre avenir?


Cinq générations qui se côtoient, dans l’espace public, au travail, à la maison, au supermarché, dans les institutions politiques, les centres de soins et d’activités physiques, aux musées, dans les urnes et partout ailleurs. Un phénomène démographiquement parlant, sans précédent dans l’histoire de l’humanité, qui s’installe avec l’allongement de la durée de vie et le nombre grandissant de centenaires et super-centenaires (la France pourrait en compter 270 000 en 2070 /projections Insee) et qui permet à la lignée familiale de se rencontrer de cohabiter.


Images de projets d'architecture multigénérationnels.

Maison multigénérationnel par le studio Beta | PDX Commons est une communauté intentionnelle d’individus qui se consacrent à tirer le meilleur parti de leur dernier tiers de vie ensemble


Si l’on disserte à foison sur certaines générations, le phénomène des bisaïeuls et trisaïeuls a fait l’objet de peu d’études (en mai 2001, l’INSEE a dénombré 30 000 personnes arrières-arrières-grands-parents (Cassan, Mazuy et Toulemon, 2001)), pourtant c’est un sujet qui devient courant dans les familles.

Aïeul(e), bisaïeul(e), trisaïeul(e), représentent une histoire familiale que l’on peut toucher et ressentir, c’est aussi l’histoire tout court qui peut être transmise entre générations, mieux qu’un cours d’histoire, qu’un livre ou qu’un film. Ces récits vivants authentiques touchent les plus jeunes et tissent l’identité familiale d’un fil à l’épreuve du temps.


4 groupes de femmes dans les styles vestimentaires de différentes époques : 1920, 1940, 1960, 1980.

100 ans de mode féminine – Youtube



Une échelle de vie vertigineuse

En effet, une personne née en 1920 (génération grandiose) et qui a aujourd’hui 102 ans, a connu des bouleversements d’une ampleur tectonique. 

Des changements sociétaux: une jeunesse difficile dans la crise de l’entre-deux guerres puis 1 guerre mondiale et un génocide, le colonialisme, des femmes qui devaient demander la permission à leur mari pour travailler ou ouvrir un compte en banque, la décolonisation, l’abolition de la peine de mort, la naissance de la consommation de masse avec les supers et hypermarchés, le mouvement antiraciste, la PMA, la remise en cause des genres, etc.

Des changements environnementaux: famines, destruction massive du vivant, pénuries de matières premières, urgence climatique etc.

Des changements technologiques et scientifiques: le train au charbon, la grippe Espagnole, la bombe atomique, les vaccins, la transplantation d’organes, le 1er homme sur la Lune, le TGV, le cœur artificiel, la contraception, l’ordinateur, l’internet et les réseaux sociaux, la médecine et la chirurgie à distance, l’intelligence artificielle, les robots, l’ordinateur quantique, l’exploration spatiale et, qui sait, bientôt le métaverse, etc. 

Des changements économiques: le Krach boursier de 1929 et la Grande Dépression, la création de l’Union Européenne, le choc pétrolier de 1978, etc.

On pourrait continuer encore et encore… Sur certains sujets, le grand écart est vertigineux et a demandé une adaptabilité hors du commun, une remise en cause totale des croyances, des valeurs, du mode de vie, de la consommation, etc.


Pour nos bisaïeuls, trisaïeuls vivants aujourd’hui, certaines promesses de la science-fiction sont devenues réelles pour le meilleur comme pour le pire…



image de 8 événements marquants de 1930 à aujourd'hui

Au Sénégal, des porteurs font traverser une rivière à un Européen dans une chaise à porteur. AFP | 6 août 1945 Hiroshima | Droit de vote des Femmes | 1er homme sur la Lune | Drapeau de l’Europe | Robot Boston Dynamics | Ordinateur Quantique (système de refroidissement) | Réseaux sociaux




Un changement de paradigmes à l’échelle terrestre, toutes générations confondues 


Bien sûr, on peut arguer qu’à chaque époque correspond son train de transformations, d’innovations, de bouleversements, pourtant, ce qui distingue irrémédiablement notre société de celles qui l’ont précédé c’est:

Le nombre d’habitants qui n’a cessé d’augmenter exponentiellement (1,8 milliard en 1920, puis de 4 milliards en 1974, nous sommes passés à près de 8 milliards en 2022, soit un doublement en 48 ans, avec une projection de 9,7 milliards en 2050),

l’allongement de la vie, notamment l’espérance de gain de vie aux âges élevés,

la révolution majeure que représentent le web et la digitalisation, le nouveau rapport à l’espace-temps qu’elle engendre, notamment sur la surconsommation, la communication, les interactions sociales, l’immédiateté permanente…

la destruction progressive puis massive et accélérée du vivant par nos modes de consommation et de production liés à ces fulgurances sœurs que sont la surpopulation et la surconsommation.



Le dernier grand « fossé » générationnel, ou le premier grand fossé intergénérationnel ?


L’idée de fossé générationnel apparaît dans les années 60, avec la constatation après-guerre, de la manifestation d’une rupture entre adultes et jeunes (baby-boomers); période qui voit naître d’autres aspirations que celles portées par le “vieux” monde et toute une nouvelle industrie autour de cette jeunesse (vêtements, musique, médias,…) ainsi que différents courants de pensée. 

Ce fossé s’approfondit aussi sous l’effet d’une scolarisation croissante, qui éloigne les jeunes du cocon familial où se faisait la transmission des valeurs dans une continuité figée, immuable, désormais remise en cause (1). 

En effet, comment la génération responsable de toutes les horreurs de la guerre peut-elle être légitime dans la transmission des valeurs, du savoir? Comment peut-elle rassurer et porter une vision du futur?  Une nouvelle conception du temps basée sur l’imprévisibilité de l’avenir et la difficulté à transmettre fait jour (1). Désormais plus rien n’est certain, donc tout est possible. 

Mai 68 fut le sommet de ce fossé générationnel et de l’exaspération de la jeunesse face à un monde qu’elle jugeait ennuyeux, dépassé, hypocrite, patriarcal et dénué de sens. Le monde entier s’enflamma à sa suite.


Aujourd’hui, avec l’avènement du jeu vidéo et de l’internet, le fossé générationnel est d’abord d’abord d’ordre technologique et les jeunes se croient (à tort) affranchis définitivement de la tutelle de leurs aînées. En effet, dans un univers digitalisé conçu et pensé par et pour des adultes, ils ont les mêmes droits et possibilités que ces derniers; mais plus à l’aise les jeunes s’affranchissent des règles pour modeler cet univers. Chacun peut désormais accéder au monde entier de son smartphone, acheter, s’informer, s’éduquer, passer des examens, créer son entreprise, diffuser ses idées, échanger, se regarder sans fin, sans décalage horaire, sans se déplacer, presque instantanément, qu’on soit un écolier de Tanzanie, un pêcheur du lac Chagan en Chine, ou un influenceur japonais en visite au château de Versailles. 

Avec cette même technologie, à Taïwan, des étudiants ont résisté avec le mouvement des Tournesols et créé une expérience pionnière de démocratie participative numérique, accompagné par une organisation de hackers et de la future ministre du numérique Audrey Tang. La révolution n’est pas morte et peut désormais porter de nouveaux atours, tant le besoin de changer le monde n’a jamais été aussi grand, aussi vital.


Une forme de Darwinisme digital s’installe, avec ceux qui s’adaptent rapidement et sans effort, et les autres.


Les “digitals natives” les plus doués ont intégré rapidement les bénéfices qu’ils pouvaient tirer de l’internet comme certains kid preneurs, qui gagnent plus d’argent que leurs parents en animant une chaîne Youtube, un compte Instagram, en spéculant sur les crypto-monnaies ou en créant des NFTs, d’autres se font de l’argent de poche avec le gaming ou le e-sport. 

Il n’y a désormais plus ni jour, ni nuit et on s’active aux quatre coins de la planète 24/7, jusque dans les parties les plus reculées. 

Ailleurs à Taïwan, des étudiants se sont servit de ce fossé technologique pour, 

En attendant, les parents un peu dépassés, courent après leur progéniture sur les réseaux sociaux pour garder le contact avec une jeunesse de plus en plus indépendante et volatile. À mesure qu’ils colonisent leur réseau social, celui-ci vieillit, s’ostracise et est fuit en masse par cette progéniture qui, comme celle d’antan, ne comprend pas cette propension qu’on les darons à coller et à s’imposer.



Les enjeux d’une société multigénérationnelle


Se pose la problématique pour chaque génération de trouver sa place et d’en ménager aux autres. Notamment en France sur des sujets tels que:

l’accaparement des richesses par la population la plus âgée,

la succession des biens et richesses est bouleversée dans un pays où elle “…est presque toujours le fruit d’une longue histoire familiale, un lien affectif et patrimonial entre plusieurs générations”(Anne Gotman). Dans une société où le modèle familial change. Avant, on héritait relativement « tôt ». Aujourd’hui, l’âge où l’on hérite de ses parents est repoussé aux calendes grecques. Demain, ce sont plusieurs générations qui devront envisager de partager l’héritage, sans compter qu’avec l’allongement de la vie, l’argent mis de côté par les anciens pendant leur vie active s’amenuise le temps passant. La paupérisation guette un nombre toujours plus important d’entre eux, ce qui crée un dilemme: “se dépouiller au risque de manquer“ pour aider enfants, petits-enfants, arrières petits-enfants ou garder précieusement son patrimoine…

le manque d’opportunité professionnelle pour les plus jeunes et l’échange de savoir-faire entre les générations

des espaces de vie restreints par le manque d’infrastructures et lieux de vie dédiés  communs,

l’inclusion des plus âgées dans le tissus social et professionnel,

la représentativité électorale, dans une société où 5 générations se côtoient, la crainte est que les générations les plus jeunes ne soient sous-représentées et que leurs voies soient inaudibles dans le flot des générations, qu’une gérontocratie s’installe.

cultiver un lien social fondamental entre les générations et ancrer les plus jeunes dans un monde nomade et désincarné, c’est peut-être là, le rôle essentiel qu’ont à jouer les anciens. L’érosion de l’esprit de famille, lié à la distance, n’est pas inévitable et peut être compensée par cette même ubiquité, qui éloigne et rapproche en même temps, grâce à la technologie. Les anciens, à qui l’on donne les moyens (matériels et financiers) de maîtriser et d’utiliser les nouvelles technologies à disposition, ne sont pas isolés et peuvent garder le contact, non seulement avec la famille, mais aussi avec les amis, le voisinage, le monde…

le modèle de vie à trois étapes (éducation, travail, retraite), dominant aujourd’hui, fait place progressivement à un modèle multiforme, s’affranchissant de l’âge et de la géographie. Une vie à plusieurs vies, un parcours sans cesse réajusté, fait de formations, de changements en profondeurs, d’accélérations, de transitions et de périodes calmes et d’inactivité qui va devoir être repensé globalement.

Le terme “génération” revêt différentes significations ou objectifs selon qu’on se réfère au temps, à la démographie, au destin collectif, à la famille, aux usages, etc. reste le besoin de se distinguer, de marquer son territoire, de trouver sa place et de bouleverser l’ordre établi. 

On peut arguer que d’une certaine façon, jeunes et vieux n’ont jamais été aussi proches si l’on compare les rapports qu’avaient les jeunes avec leurs parents avant, quand ils devaient en toutes choses subir l’autorité parentale.

Il n’est plus absurde aujourd’hui, de discuter de façon ouverte, d’aller au concert, au café, de partir en vacances, de manifester ou de faire du shopping en famille même une fois devenu adulte.


On observe des similitudes entre jeunes et vieux quand il s’agit de faire entendre ses opinions ou faire valoir sa place dans la société auprès des pouvoirs publics, de même la solitude n’est pas l’apanage de la vieillesse.

Dans un pays multiculturel où quatre à cinq générations se côtoient, la mixité intergénérationnelle est un défi. Dans de nombreux domaines (travail, consommation, espace public…) l’approche générationnelle butte sur les usages, les besoins qui peuvent être semblables entre différentes générations, différents au sein d’une même génération et inversement. Prendre en compte des caractéristiques autres que l’âge ou la génération dans ces domaines mais aussi pour valoriser l’apport des uns et des autres ne devient-il pas primordial? 

Il y a toujours des crispations entre jeunes et vieux (boomers notamment) et parce qu’il existe une tension latente liée au phénomène naturel d’une génération (la descendance) qui pousse l’autre vers la sortie. Il reste qu’au sein de chaque génération, il y a « des passeurs » de communication entre les uns et les autres, véritables caméléons, ils ont la capacité de comprendre et d’adopter leur époque sans s’appesantir sur le passé.




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Références :


[1]le fossé des générations


Autres sources :


Institut de la famille Genève

5 générations/journal-lacroix 

Étude/caf

Une famille de 5 générations/actu

When you have 5 generations living under one roof/treehugger 

Centenaire en france/Insee